«Quand il était petit, mon frère était déjà très intelligent,
racontait sa sœur en 1999. Il a appris l’anglais très tôt et il n’avait
pas peur des blancs comme les autres. Il a reçu un don de Dieu. Mais je
ne pensais pas qu’il deviendrait président. Roi du clan des Thembu, ça,
oui peut-être…» Enfant roi ?
En ce tout début de XXe siècle, Rolihlahla qui naît le 18 juillet
1918, au Transkein en Afrique du Sud, n’est pas un petit garçon comme
les autres. Son arrière-grand-père est le roi des Thembu.
Rolihlahla est donc un enfant d’une lignée royale. Il bénéficie d’une
deuxième chance. Il va aller à l’école anglaise. Et là, comme c’était
alors la coutume, il va recevoir un deuxième prénom très british :
Nelson. Rolihlahla, c’était peut-être un prénom prédestiné : cela
signifie «fauteur de troubles». Mais c’est plutôt son surnom, Madiba,
que les Sud-Africains retiendront pour l’éternité.
Premier cabinet d'avocats noirs
Ce gamin «intelligent» se sent très à l’aise dans cette double
culture. Il va subir l’initiation traditionnelle des Thembu. Mais il
rentre à l’Université de Fort Hare, pour y suivre des études de droit.
C’est la seule qui… accepte les Noirs.
Et c’est sans doute là que son destin va se sceller. Nelson Mandela
fait la connaissance d’Olivier Tambo, qui un jour deviendra le chef de
l’ANC. Lui aussi est étudiant en droit. Ensemble, ils commencent à
militer dans les mêmes mouvements étudiants. Madiba fréquente les
marxistes, les communistes, sans être totalement convaincu. Il
s’inquiète du nationalisme des Afrikaners. Et s’émerveille devant le
combat de Gandhi : la non-violence va l’inspirer.
Il rejoint Johannesbourg (pour échapper à un mariage arrangé par sa
famille !) et enchaîne les stages et les petits boulots dans le cabinet
d’un homme d’affaire qui jouera ensuite un grand rôle dans sa vie,
Walter Sisulu. Il finit par obtenir sa licence en droit. Avec Tambo, ils
fondent le premier cabinet d’avocats noirs.
C’est en 1944, l’année de son premier mariage (il divorcera 13 ans
plus tard) que Nelson Mandela va réellement entrer en politique. Il
fonde avec Walter Sisulu la ligue de la jeunesse de l’ANC, le congrès
national africain. Ce parti créé une vingtaine d’années plus tôt s’est
un peu assoupi ; Mandela et les autres vont lui redonner la vigueur de
leur jeunesse. Déjà, ils militent contre la mise en place d’une
politique de ségrégation, alors même qu’une partie de la population
noire accède à un niveau de vie un peu meilleur qu’auparavant. Cette
génération de couleur espérait faire bouger les lignes. Elles vont
bouger effectivement. Mais pas dans le sens espéré. En 1948, le Parti
National remporte haut la main les élections. Et c’est lui qui va
institutionnaliser ce que l’on appelle l’Apartheid. Un noir ne vaut pas
un blanc. Les lois, le rattachement au territoire, tout cela dépend d’un
«statut racial». Les mariages mixtes sont interdits. Une société de
barbelés.
Dans la clandestinité
En 1950, Nelson Mandela devient le président national de la ligue de
la jeunesse et membre de la direction de l’ANC. Fidèle à Gandhi, il
prône la désobéissance civile, contre ces lois qui séparent, tranchent
et découpent le pays en tranches noires ou blanches. Une manifestation
se déroule en 1952 : 10000 manifestants. 8000 arrestations. Dont
Mandela. Neuf mois de prison avec sursis, mise en résidence surveillée.
Ce sont les premiers coups de semonce d’un long, d’un très long combat.
Dans la clandestinité, l’équipe se réorganise, défend les droits des
noirs spoliés, passe des alliances ponctuelles avec les communistes, qui
eux aussi combattent l’apartheid.
En 1958, Madiba épousera Winnie… Un coup de foudre, mais une union
étrange. Le couple sera indestructible dans la lutte, mais de plus en
plus fragile dans la relation intime, au fil des années, jusqu’à la
séparation en 1999…
Prison à perpétuité
Car, dès le début des années 60, l’histoire s’accélère. En mars se
déroule le massacre de Sharpville, dans le sud du Transvaal. Lors d’une
manifestation du Congrès Panafricain, des policiers tirent sur la foule.
Soixante-neuf morts, dont des femmes, des enfants, atteints dans le dos
alors qu’ils s’enfuyaient. Pour endiguer la colère populaire, le
gouvernement décrète l’état d’urgence, interdit l’ANC et le PAC. Le
monde entier tourne alors les yeux vers l’Afrique du Sud et découvre
avec effarement un régime monstrueux de ségrégation raciale, 15 ans
après la chute des nazis.
L’ONU condamne le massacre et demande l’abolition de l’apartheid le 1er avril 1960… Déjà.
Mandela entre dans la clandestinité, favorise les sabotages «sans
pertes humaines» collecte des fonds, estime inévitable le recours à la
lutte armée.
En 1962, il est arrêté. Il revient d’une tournée en Europe et en
Afrique. Ce sont les agents américains de la CIA, qui, obsédés par la
chasse aux «rouges» pendant cette guerre froide, le dénoncent aux
autorités. Le procès de Rivonia débute en 1963. Le 12 juin 1964, Nelson
Mandela est condamné à la prison à perpétuité, comme Walter Sisulu et
six autres accusés. Ainsi commence la deuxième vie de Mandela.
Johnny Clegg
Casser des cailloux. On pourrait croire en 1964 que c’est un cliché
appartenant à un passé barbare. Pas au pénitencier de Robben Island où
est envoyé Mandela. Les conditions de détentions sont atroces. Là aussi,
l’apartheid règne. On n’est pas traité de la même manière quand on est
blanc ou noir, prisonnier politique ou de droit commun. Alors, noir et
prisonnier politique…
Les cailloux cassés de la carrière de chaux brûlent les yeux des
prisonniers. Malgré tout, Mandela parvient à créer une sorte
d’université interne à la prison. Il enseigne à ses codétenus
Shakespeare ou le poète William Ernest Henley et son fameux «Invictus»
(Invaincus), qui deviendra le titre d’un film de Clint Eastwood, parlant
cette fois de la Coupe du monde de rugby en Afrique du Sud en 1995 !
En 1968, on l’empêche d’aller à l’enterrement de sa mère…
Mais le monde extérieur n’oubliera pas Mandela, qui va passer de la
carrière de chaux au champ de guano. De tous les continents, des voix
s’élèvent contre l’apartheid, et défendent celui qui va devenir au fil
des années, le prisonnier politique le plus célèbre du monde. Petit à
petit, l’Afrique du Sud se retrouve au ban des nations.
Pour Mandela, Johnny Clegg chante «Asimbonanga», Youssou N’Dour écrit
un album, Steve Wonder lui dédicace son oscar pour «I just call».
Simple Mind, Carlos Santana, Whitney Houston, Bernard Lavilliers
chantent le prisonnier de Robben Island…
Icône
À la fin des années 80, le gouvernement sud-africain craque. Frédérik
De Klerk sait qu’il va falloir lâcher du lest pour éviter un bain de
sang. Depuis longtemps déjà, on négocie en coulisses. De Klerk navigue
entre les extrêmes, et finit par libérer cet encombrant symbole. Nelson
Mandela sort de prison le 11 février 1990. Ainsi commence la troisième
vie de «Madiba». Qui plus que jamais est habité par la philosophie de
Gandhi et rêve de réconciliation.
Il rencontre plusieurs fois De Klerk. Ils vont jeter les bases d’une
Afrique du Sud moderne. Un pari fou qui n’est pas encore tout à fait
gagné, mais qui reste encore possible. Tous deux recevront conjointement
le prix Nobel de la Paix pour cette main noire enfin posée dans cette
main blanche.
Le 9 mai 1994, Mandela est élu premier président noir de l’Afrique du
Sud. En vieux sage, il ne se représente pas en 1999. Il vit une
troisième histoire d’amour, après un divorce avec Winnie, devenue très
encombrante. Et inaugure les chrysanthèmes avec bienveillance.
Depuis, il était une icône révérée dans tout le pays, une conscience
révérée. Avant sa mort, l’enfant roi des Thembu était déjà devenu une
légende.
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